« La poésie est un état de révolution permanente.
Elle se remet en cause, elle ne s’accepte jamais, elle refuse de s’asseoir sagement dans une définition. Elle tourne sur elle-même, fait tourner le monde en rond autour de sa magie magnétique, puis sa sagesse, sa folie, est de disparaître dans le cœur invisible des choses.
La poésie se méfie d’elle-même, la poésie lutte contre la poésie. C’est par là qu’elle est vivante, qu’elle met en mouvement tout ce qu’on lui a mis sur le dos. En effet, la poésie n’est pas un supplément d’âme, pas non plus un divertissement, un simple jeu dans les mots et les signes, la poésie que nous aimons ne rend pas la vie plus belle, plus vraie, elle n’est pas cosmétique, esthétique, petit arrangement avec la réalité. La poésie est un rapport réel avec le réel, avec tout ce qui ne peut se dire immédiatement mais qui est là, partout, dans la vie infinitive qui nous traverse. La poésie est une découverte qui s’invente, une invention qui se découvre. « La poésie doit avoir pour but la vérité pratique » nous dit avec force Lautréamont et nous aimons cette définition (même si « la » poésie ne peut se définir) parce qu’elle est en lutte avec la vision simpliste, réductrice, dans laquelle on a tendance à enfermer cet art de la parole et de la pensée.
Pour exister pleinement, la poésie doit sortir d’elle-même. Comme tout art vivant, elle refuse les frontières, elle s’offre tout le possible. Rebelle à toute assignation, elle est toute entière traversée de lignes de fuite, de devenirs. La poésie est « explosante-fixe », expérience troublante d’une première fois au monde et au langage. L’écriture est le nom de sa nécessaire insurrection. Il s’agit bien d’inventer de nouveaux mondes, de ressentir autrement la vie, de pratiquer cet « athlétisme affectif » revendiqué par Antonin Artaud. Ouvrir des perceptions, faire du langage une question, un étonnement, un cri, un rire iconoclaste et libérateur. Poésie est une fabrique de langues intérieures et de chants d’oiseaux qui n’existent pas. Poésie est toute entière partage du sensible. C’est par là que se manifeste son rôle pleinement politique : rendre le spectateur sujet de ses émotions, de ses pensées et de ses doutes, lui laisser une place pour qu’il puisse « faire poème » avec celui qui parle, avec celui qui crie, avec celui qui chuchote dans la nuit des projecteurs.
La poésie n’est jamais plus forte que lorsqu’elle n’est plus « la poésie » mais une force qui va, une vibration de l’être, un devenir-révolutionnaire.
Le festival Les Bruissonnantes cherche à faire entendre pleinement cette ouverture maximale du poème à son dehors : c’est pourquoi la programmation convoque à la fois des écrivains, des bricoleurs de langues mais aussi des inventeurs de sons, des explorateurs du corps, des expérimentateurs de situations. Rencontres sur les limites des arts, là où s’inventent des nouveaux territoires. »
Les co-organisateurs du festival Les Bruissonnantes, édition 2015