Banquet d’été : « Qui est nous aujourd’hui ? »

1 août 2014 / 9 août 2014
Abbaye publique de Lagrasse (11220)

Ce questionnement, en effet, reste inépuisable, il anime au fond les uns et les autres ; c’est ce que nous avons profondément en commun, à partager. 

Le lien communautaire a trop souvent été pensé – surtout dans la modernité – dans le déni d’une positivité de la séparation entre l’un et l’autre. Négation répétée de la positivité de l’altérité, considérée comme aliénation.

Dès lors, les pensées modernes ont généralement élaboré leur conception de l’être-ensemble sur l’expérience de la mort (destin commun, sacrifice ritualisé, etc.).

Face au constat des impasses ressassées, sommes-nous prêts, désormais, à affronter la question du nouage nécessaire entre le « souci de soi » et le « désir de l’autre », parce que l’identité se trouve être une coquille vide sans la reconnaissance de l’altérité. Le moi autosuffisant, c’est la vanité et la mort.

Dans son introduction, intitulée Conloquium, au livre de Roberto Esposito, Communitas, origine et destin de la communauté (P.U.F., 2000, aujourd’hui épuisé), le philosophe Jean-Luc Nancy écrit ceci : 

« … Nous avons été incapables de démanteler ou de décourager les recours aux essences communautaires et (…) nous les avons plutôt exacerbés : les intensités communautaires, nous les avons portées à l’incandescence par l’effet d’indistinction où la généralité infinie semble emporter toute coexistence définie. Ce qui signifie que nous n’avons pas encore pu saisir ou inventer, de l’être-en-commun, une constitution et une articulation décidément autres.

C’est l’exigence ainsi créée qui a mis en branle le travail dont je parle [allusion de Nancy aux échanges intenses, dans les années 80, sur la question de la communauté], travail commun, assurément, c’est-à-dire en rien collectif, mais travail imposé à nous tous ensemble (sans que nous sachions au juste ce qu’est l’«ensemble » pensant d’une « époque ») d’avoir à nous soucier de la possibilité d’être, précisément, ensemble et de dire « nous », au moment où cette possibilité paraît s’évanouir tantôt dans un « on », tantôt dans un « je » aussi anonymes et monstrueux l’un que l’autre, et en vérité complètement intriqués l’un dans l’autre ».« Si je me distingue, c’est d’avec les autres. D’avec est en français une expression remarquable : on se sépare de ou d’avec quelqu’un, c’est-à-dire qu’on s’écarte d’une proximité mais que cet écart suppose la proximité dans laquelle, en définitive, l’écartement ou la distinction a encore lieu. Il y a une proximité de la proximité et de l’écartement. »« Quant au koinos (« commun » en grec), ou bien on le rattache au co- occidental en général, ou bien au grec homérique keiôn, « fendant, partageant ». Toujours il y a conjonction et disjonction, disconjonction, réunion avec division, proche avec lointain, concordia discors et insociable sociabilité… Cette disconjonction est notre problème depuis au moins Rousseau. » Et Nancy suggère ainsi que « partager » veut dire tout à la fois « diviser », « séparer » et « réunir », « relier ». »

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