Verbe sacré – édition 2012

13 septembre 2012 / 15 septembre 2012
Site historique de l'ancienne Abbaye de Landévennec

Il y eut en 2011, face à l’océan, ce cri de la Femme en la création Jonas-Ex-Voto. Pleurant les disparus avalés dans les gouffres, les flots en ont rapporté leurs secrets.
Teatr’Opera lève aujourd’hui un nouveau voile.  Ne serait-il venu ce temps où, du fond de l’obscur, l’homme se dressera dans un face-à-face avec le Ciel, par désir de crier : où il n’y a pas d’amour, mettez de l’amour et vous obtiendrez de l’amour.

À Landévennec, se poursuit la route du questionnement de l’homme, obliquant nos regards vers la haute voûte qui sert de toiture aux ruines de l’abbaye. Que de cette terre et vers les cieux s’élève une ode nouvelle. C’est sur les écrits de celui qui disait à chacun – d’en profiter selon sa capacité d’esprit car il n’est pas qu’un sens pour produire effet d’amour et affection dans l’âme -, que se tresse le fil de la 3ème édition de Verbe Sacré. Celui qui formula ces paroles, surnommé par Thérèse d’Avila mon petit Sénèque, fut le poète Jean de la Croix.

Et quel espace mieux approprié que ces ruines, bercées du souffle de la mer toute proche, pour que vibre une parole qui dira au monde sa modification ? De la Renaissance espagnole qui exalta tant le désir de renouveau, transparait un sentiment d’une clarté autre, d’une douceur indicible murmurant secret d’âme en toute intensité. Ne serait-ce l’instant d’écouter le ressenti de l’homme désaxé qui, fourvoyé en son centre, devient rival de lui-même, de ce qui lui est foncièrement propre, tant qu’il ne sait plus qui il est, ni même ce qu’il vénère ? Voici un siècle, le poète Rainer Maria Rilke rétorquait déjà Et donne-lui une nuit profonde, infinie, Où il ira plus loin qu’on n’ait jamais été.
           
De deux voix sublimes se conjuguent un cri uni qui, de la noire nuit, ascensionne vers le jour. De l’exigu cachot où Jean de la Croix fut séquestré, se trace un hymne. Et se divulgue parole si éclairante que, du cœur de l’obscur, celle-ci ouvre à la lumière de midi – la luz del mediodía -.

Conjointement sonne le verbe âpre, beau et sensible, traîné par l’homme – solitude, brossé par Rilke dans son Livre de la Pauvreté et de la Mort. Maintenant le chant peut prendre son envol car, comme le dit de la Croix au sommet de sa poétique de l’Amour, un poème n’est jamais parole raisonnable – un dicho puesto en razón -.
Et c’est au faîte de la mixtion des deux voix que, sous les astres de la Nuit, resplendira le Cantique de Salomon. En un verbe éperdu d’ivresse, ce Chant des Chants éveille l’espace à l’émotion pure et créatrice, avide de conduire chacun vers la profonde paix de l’Amour consommé – Allí quedó dormido -.

Voilà. S’ouvre un nouveau Verbe Sacré : de l’Obscur à la Lumière dira la traversée de la matière, que de la terre au ciel monte une flamme vive et claire, dont chaque spectateur emportera les stigmates brillants de ces pierres mystiques. Le temps d’une création, elles forgeront le cloître du pauvre hère et barde sous le regard de l’ange.

Comme l’énonce Jean-Michel Grimaud, Abbé de Landévennec… Ces sentinelles de l’invisible, que sont les artisans de mots, rapportent eux aussi de leurs voyages en haute mer humaine des filets chargés de rires et de larmes…

Antoine Juliens,
Directeur artistique.

 

 

DÉVELOPPEMENT :

 

Acte I     S’élève de la terre, des profondeurs du cachot de Tolède, une voix humaine, humble, toute empreinte de terre castillane. Voix d’un prisonnier fouetté, insulté par ses geôliers. L’expérience de l’être nourri de sa foi fait traverser la nuit de son dire. Gorgé de souffrance, heurté de silences, un cri de lumière et d’espérance émerge et vient secouer la croûte de la conscience.

Étonnamment échappé de sa geôle, les pieds nus, son cœur en solitude, le frère déchaux accompagne les âmes religieuses d’Avila, contribue à la réforme du Carmel. Un monde parait renaitre de ses cendres, neuf de ses découvertes et en sa mutation, embrasé comme l’a peint El Greco. Celui-ci, dont l’atelier jouxte la cellule du Saint, sait que tout ce qui se fait par amour se fait au-delà du bien et du mal. Il écoute les corps se tordre et s’étirer vers le ciel jusqu’à disproportion. Elles deviennent torches ardentes, jamais lasses de se déployer vers le ciel, puis, se consumant, paraissent engloutir orages et tempêtes du monde rebelle. Un hymne s’échappe de la Nuit et, en traits de feu, grandit pour ne jamais plus s’éteindre.

Des siècles après, il enflamme à profusion les cœurs aimants.

 

Je sais que ne peut être chose si belle,

                                               et que ciels et terres boivent en elle,

malgré la nuit.

 

Acte II    De temps de troubles et de violence jamais calmés, un poète manifeste sens de la pauvreté et de la mort. Son nom, Rainer Maria Rilke. S’octroyant subtil retrait, il s’alimente de Jean de la Croix dont il découvre l’œuvre en Espagne, en 1912-1913.

 

De ces lectures, devenues tanière et puits de lumière, parait l’Ange visionnaire. Du fond de la Nuit, ce dernier parle et réplique. Rilke entend, prend pour lui les signes d’indigence et de dénuement, et de son verbe vocifère pour dulcifier la souffrance.

Par compréhension de l’homme de misère, il passe contrat avec le Divin, car il sait, comme Mallarmé, que l’on ne fait pas des vers avec des idées mais avec des mots.

À son tour, il entraîne aux frontières de l’indicible, vers un voyage tel que Chagall l’a peint à maintes reprises sous la grande Voûte. Le poète, de son verbe célestiel, nous introduit dans les arcanes du sacré. En écho à Jean de la Croix et aussi à Novalis, par son Hymne à la Nuit, Rilke attire chacun en son désert nocturne qui brasille de vérité et ouvre accès au lieu de l’infinie Clarté.

 

                                               Ô forte parole que tu sèmes en moi !

                                               Si jamais son sourire advient,

                                               que de mon regard sur elle je transfère l’espace du monde !

[terrible et douloureux appel]
Mais elle ne vient pas, ou trop tard viendra !

            Jetez-vous, anges, sur ce champ de lin bleu.

            Anges, anges, fauchez !

 

Et si l’ange de Rilke parait terrible, il l’est par connaissance de ce qui excède l’homme, de sa condition et de ce qu’est le passage. Il fait saillir un vent qui est amour profond pour l’homme éprouvé en sa chair et son âme, perdu en des nuits sépulcrales. Car Rilke connait le point ultime de son évolution et de ce qui lie à l’univers. De ses chants, il convie chaque être à traverser, par compagnonnage, l’obscurité qui laisse filtrer tout au bout du voyage une trouée qui édifie, éveille au jour sans limite. Jamais ce passant n’a craint ni omis de dire que la mort est le fruit qui est au centre de tout.

 

Acte III   Des feux dressés par Jean de la Croix et Rainer Maria Rilke jusqu’à nous se réfléchit, se propage un chant antérieur, qui est dialogue d’extase auprès des âmes entendantes. Confondant toutes les voix en détresse, le Chant des Chants donne répartie à l’amour de Jean de la Croix en l’emportant à son heure d’agonie. C’est en poète que le saint finira d’habiter la terre. Exauçant son vœu ultime, les compagnons déclament à haute voix des extraits du célèbre cantique, Chir HaChirim qui est de Salomon.

La nuit décèle sa Lumière. Le jour se lève sur le monde. Quand l’amour réussit enfin à régner parmi les êtres – frères, Jean de la Croix s’en est allé, humble, dépouillé… Rilke, lui, hèle l’étoile du soir de la grande pauvreté. S’érige le temple-époux tandis que l’épouse-rempart convie en son jardin matutinal !

 

                Son bras gauche     sous ma tête                               

                                   et son droit     m’entourera

 

Que notre création de l’Obscur à la Lumière, pour cette 3ème édition de Verbe Sacré, répercute les voix de Salomon, de Jean de la Croix et de Rilke. Qu’elle soit fanal et, du bord de l’Océan, attise chacun en ce qu’il est, le guidant vers quelque port d’espérance.

Que de la terre au ciel, de l’Espagne du 15ème à ce monde du 21ème siècle et sur une terre qui est en feu comme la décrivait déjà Thérèse d’Avila, surgisse le souffle serein et ineffable qui, embrasant les ruines de l’ancienne abbaye, se glissera jusqu’en l’intime de chaque spectateur-voyageur.

 

 

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